J’ai passé l’agrégation l’année dernière. Je pensais que la première fois que j’en parlerai vraiment ici serait pour un article de conseils (on n’en trouve tout simplement pas de la part de lauréats et c’est agaçant), mais les circonstances m’ont fait changer d’avis.
La rengaine habituelle quand on passe l’agrégation est que cela vous prépare à passer l’agrégation mais pas à grand-chose de plus. Et en effet, à part une mini épreuve à l’orale (pour l’anglais en tout cas) on ne parle pas de pédagogie, de didactique ou d’enseignement. Le comble pour un concours de… l’enseignement. Cependant mes premiers pas dans le métier de prof m’ont fait me rendre compte de ce que cette année assez horrible m’a permis d’apprendre (hors des centaines de dates, des règles de phonologie obscures et du plat préféré d’Herman Melville) et dont je me sers au quotidien face aux élèves ou en préparation de cours.
La timidité.
J’ai toujours assez détesté passer à l’oral, mais à force de passer des colles (examens blancs) l’oral a commencé à devenir quelque chose de beaucoup moins effrayant. Passer les épreuves mêmes a agit comme un déclic pour moi. Me trouver devant un jury d’experts, à qui je pouvais présenter mon savoir que je savais assez sûr et par dessus tout réussir ces épreuves m’a fait passer un cap. Et c’est plutôt incroyable pour moi de réaliser qu’à présent parler devant des inconnus ne me fait presque plus ni chaud ni froid après 29 ans de timidité.
Cela a bien sûr une certaine utilité lorsqu’on doit faire cours à 30 élèves.
L’endurance.
Ce n’est pas un secret qu’il faut ingérer une quantité stupide d’informations pour passer le concours et qu’il faut passer de nombreuses heures à travailler. C’est cette année-là après tout que j’ai le moins lu de ma vie, que j’ai arrêté d’écrire des articles, que je n’ai pas pris de photos et que je ne suis presque pas sortie. Je n’avais pas été habituée à ce bachotage intense, n’ayant pas fait de prépa après le lycée. Cette charge de travail a eu des hauts et des bas, mais elle m’a permit de réaliser que je pouvais me pousser beaucoup plus que je ne le pensais.
A présent je me sers de cette endurance lors de la préparation de mes cours. On dit qu’une heure de cours demande au minimum une heure de préparation et cela n’est pas un mythe. Alors les soirs où après une journée de cours (ou de formation à l’INSPE, ex ESPE, ex IUFM, ex etc.) je sens que je peux plus rien faire, je sais que je peux encore prendre le temps de finaliser un cours, un Powerpoint ou une feuille d’activité.
La stratégie.
Pour réussir l’agrégation il faut avant tout comprendre les épreuves, leurs codes et la meilleure manière (la vôtre) de réviser. Quand on aime lire beaucoup de livres de la bibliographie d’un cours, ou se plonger dans des connaissances obscures d’une période, on tombe un peu des nues en prépa de concours. Il n’y a pas tout simplement pas le temps de faire cela pour chaque matière si l’on veut dormir et manger de temps en temps.
Il faut alors pouvoir distinguer ce qu’il est capital d’apprendre, ce sur quoi il faut passer du temps, et quand il est bon de se reposer avant d’imploser. Parce qu’on a beau vous le répéter avant et pendant le concours, se reposer, ne rien faire est capital si l’on ne veut pas craquer et gâcher des mois de préparation. Cette habitude d’aller au plus efficace, de faire confiance à sa méthode de travail (même si elle diffère des autres) est très utile quand on se retrouve soudainement à préparer des cours pour des élèves. Il faut apprendre tout ce à quoi à l’agreg ne nous prépare pas (le jargon nébuleux de l’EN, les techniques brevetées éthiques et responsables pour préparer des cours, etc.), jongler avec le choc d’enseigner en pleine responsabilité, et celui d’être mutée aux quatre coins de la France sans péter un câble. Et pour le moment (après deux longs mois) cela semble fonctionner.
La confiance en soi.
De la même manière que la timidité, le stress que je ressentais presque constamment pendant mes études s’est presque évaporé.
J’ai passé deux ans de master à me dire que je ne réussirai jamais à écrire un mémoire et à faire une soutenance. J’ai écrit deux mémoires, passé une soutenance, eu un master. J’ai ensuite passé six mois à me dire que je ne serais de toute façon pas prise aux oraux de l’agreg. J’ai été prise aux oraux. J’ai finalement passé trois mois à me dire que je ne réussirai pas les oraux. J’ai réussi les oraux. Je n’écris pas cela histoire de me dresser un panégyrique, mais l’enchaînement de ces fortes périodes de stress et de ces descentes radicales une fois le résultat positif obtenu m’ont bien fait réfléchir. J’ai été en colère contre moi-même d’avoir pollué énormément de mon temps par ce manque de confiance en moi. Au lieu de concentrer mes forces sur les révisions, je m’éparpillais en doutes.
De plus mes rengaines favorites à coup de « de toute façon je suis bête », ou « s’ils m’ont donné mon master c’est parce que les profs ont eu un peu pitié de moi » n’ont soudain plus eu lieux d’être. Le jury de l’agrégation se fiche bien de qui vous êtes. S’il y a un concours où vous savez qu’on ne vous ne le donnera pas pour vos beaux yeux, c’est bien celui-là. De m’être présentée au concours, et d’avoir réussi chaque étape a eu un effet éclair. Quand je me refusais à accepter réellement des compliments sur la réussite d’un master, soudain j’étais fière de dire que j’avais eu l’agrégation. Ce n’était pas un hasard, une erreur ou de la gentillesse. Je méritais mes résultats et ma place.
La valeur de l’agrégation.
Et pour finir, passer l’agrégation vous fait vous rendre compte que ce concours « prestigieux » n’est pas la panacée. Je ne pensais déjà pas qu’il s’agissait d’une couronne de laurier et que cela séparait les lauréats du commun des mortels, mais le passer, voir que cela ne préparait finalement pas (vraiment) à l’enseignement ou ne prouvait pas la supériorité de votre esprit critique m’a conforté dans mes idées.
Alors si à présent je peux parler en public sans une peur terrible, ou accepter des compliments sur mes réussites, ce n’est pas parce que je me sens si brillamment supérieure à tou.tes, c’est parce que cette année particulière m’a fait réaliser des trucs sur moi, débloquer des trucs bien relou et grandir un peu enfin.
Je ne vous conseille pas de passer l’agrégation pour avoir des révélations sur vous-même, mais simplement de considérer qu’il y a toujours des choses à apprendre, même des expériences les plus curieuses ou rébarbatives qui soient.
Alors futur.es agrégé.es que la force soit avec vous, ça va aller.